Clockers, de Richard Price

Publié le par Yan

 

 book_cover_clockers_152908_250_400.jpgPlongé durant plusieurs semaines dans  The Corner, je m’aperçois aujourd’hui que j’ai totalement oublié de parler d’un autre livre, référence sur ce sujet, à savoir le déjà ancien (1993) Clockers, de Richard Price.

Ronald Dunham, dit « Strike », 19 ans, dirige dans une cité du New Jersey une petite équipe de « clockers », ces petits dealers du bas de l’échelle, qui revendent des doses de crack dans les ghettos. Le problème de Strike, c’est qu’il sait bien que, malgré une certaine aptitude à faire tourner ce commerce, il n’a pas l’étoffe d’un gangster. Cela lui saute aux yeux le jour où son patron, Rodney Little, lui demande d’éliminer un gérant de restaurant qui lui cause du tort. Incapable de tuer, Strike tente alors de manipuler Victor, son frère, chargé de famille, travailleur honnête mais un peu porté sur la bouteille, afin qu’il effectue la sale besogne à sa place.

Lorsque le gérant du restaurant est abattu et que Victor se rend à la police, Rocco Klein, le flic chargé de l’enquête, ne croit pas à sa culpabilité. Il poursuit donc ses investigations et décide de mettre la pression sur Strike, le vilain petit canard de la famille.

Avec Clockers, Richard Price peint une chronique subtile du quotidien de ces « clockers ». Outre une description minutieuse du fonctionnement du trafic et des opérations de police censées essayer de le juguler, il s’intéresse de près aux motivations et aux destins de ces jeunes. Le personnage de Strike, tout en nuances, tenté par l’appât du gain, la possibilité de se faire un nom dans le quartier, tenaillé par la peur constante de se faire arrêter ou tuer au point de développer un ulcère dont la douleur ne le quitte jamais, rêvant d’abandonner sa cité pourrie, fut-ce au prix de l’avenir de son frère, est particulièrement attachant. Et, de fait, mis à part, peut-être – et encore que… – le caïd Rodney Little ou le flic Mazzili, on trouvera peu de personnages monolithiques dans Clockers, Richard Price cherchant en chacun ses failles, sa part d’ombre comme ses qualités.

À travers ce roman puissant et rageur, Price à la volonté de décrire une réalité tangible, de dénoncer l’impasse dans laquelle la politique américaine de lutte contre la drogue, faite d’une répression aveugle qui ne s’attaque jamais aux racines du mal – la ghettoïsation de population, la pauvreté – a mené. On regrettera sans doute quelques longueurs, en particulier concernant la vie familiale de Rocco Klein, mais il n’en demeure pas moins qu’avec ce roman qui arrivait après une éclipse de près de 15 ans (le précédent, Les seigneurs, datait de 1979) et une reconversion réussie dans l’écriture scénaristique pour le cinéma (La couleur de l’argent, Mélodie pour un meurtre, Mad dog and Glory…), Richard Price, jetait un beau pavé dans la mare.

Spike Lee en a fait une adaptation plutôt fidèle mais sans génie, sous le même titre, en 1995, avec au générique Harvey Keitel et Delroy Lindo. Sans surprise, Richard Price a de son côté fini par rejoindre l’équipe de  The Wire à partir de la troisième saison.

Richard Price, Clockers, Presses de la Cité, 1993. Rééd. Pocket, 1995. Rééd. Presses de la Cité, 2010. Traduit par Jacques Martinache.

Du même auteur sur ce blog : The Whites ; Ville noire, ville blanche ;

Publié dans Noir américain

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