Deux crétins sur la route : Voleurs, de Christopher Cook

Publié le par Yan

book_cover_voleurs_119066_250_400.jpgLe titre du roman de Christopher Cook est un petit peu réducteur. Sa première phrase est d’ailleurs éloquente : « Eddie n’avait pas l’intention de le tuer, ce type. Il ne voulait pas le voler non plus. En fait… ». Le fait est, pourtant, qu’Eddie et son pote Ray Bob sont non seulement des voleurs mais aussi des tueurs. Et ils sont bien partis pour semer la désolation sur le passage, d’autant plus qu’ils ne vont pas tarder à rencontrer Della, esthéticienne pas aussi bête qu’elle en a l’air et redoutable femme fatale. Et pendant ce temps, plus préoccupé par l’état de ses bourses dont il constate qu’elles pendent de plus en plus que par son affaire, le ranger Rule Hooks compte les cadavres qui jonchent la route du trio.

Voleurs est un étonnant premier roman. Étonnant d’abord par les choix typographiques de l’auteur, en particulier l’absence de guillemets et de tirets dans les dialogues dont il s’avère, passé un premier moment de déstabilisation qu’ils donnent au texte son rythme si particulier et qu’ils expriment notamment le côté syncopé de ce roadtrip partagé entre la course à la mort des voleurs et la poursuite lente et sans beaucoup de conviction du policier. Étonnant ensuite par la maitrise dont fait preuve l’auteur pour ce premier roman.

On pourrait effectivement, comme le dit la quatrième de couverture, se trouver dans un film des frères Coen, quelque part entre Fargo, Blood Simple et Arizona Junior. Les dialogues improbables et pourtant criant de vérité, qui pourraient se trouver aussi bien dans la bouche des personnages des Coen que dans celle de Paulie chez les Soprano, en disent long sur le côté déjanté de ce roman. Ainsi alors qu’Eddie vient d’abattre le caissier du drugstore qui refusait de lui vendre ses cigarettes parce qu’il lui manquait un cent et que Ray Bob est retourné dans le magasin pour vider la caisse :

                « Merde, dit Eddie. Tu me rends complice de vol pour aussi peu ?

                C’était pas du vol. On peut pas voler un mort.

                Tu parles qu’on peut pas.

                Non.

                Mon cul que si, dit Eddie. Ils ont une loi pour tout ».

Si vous n’en avez pas encore eu l’occasion, faites donc un bout de chemin avec ces tarés. Mais attention, ils vous feront certes rire, mais ils vous en diront aussi beaucoup sur l’Amérique d’aujourd’hui. Et ce n’est pas toujours joli à voir.

On a pu retrouver Christopher Cook, en 2006 dans un joli recueil de nouvelles, Bethlehem, Texas. Cela nous a fait patienter un moment. On espère maintenant que l’on aura bientôt l’occasion de le lire à nouveau.

Christopher Cook, Voleurs, Rivages/Thriller, 2002. Rééd. Rivages/Noir, 2004. Traduit par Pierre Bondil.

Publié dans Noir américain

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P
<br /> Ci-jointe l'adresse de l'embryon de site web de Christopher Cook. Il est en effet lancé dans l'édition numérique. Il m'a envoyé ce matin le texte de "Storm" que je vais me faire une joie de lire.<br /> J'ai lu aussi le prologue de son nouveau (futur) roman, et j'ai pensé notamment à Faulkner. Des critiques de lecteurs américains sur internet lui font le même honneur. Cela signifie un immense<br /> talent, mais exige également des lecteurs attentifs et prêts à consentir des efforts. Pour "Voleurs", certains risquent d'être désarçonnés par les premières pages (et le traducteur, donc !). Si<br /> c'est votre cas, ne baissez pas les bras, vous verrez qu'il vous emmènera là où vous ne vous ne pensiez pas aller. Autant de surprises distillées dans un roman, ça ne m'était plus arrivé depuis<br /> longtemps.<br /> Bonnes lectures.<br /> L'adresse : www.christopher-cook.com<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Merci Pierre pour ces informations. En ce qui concerne les choix typographiques de l'auteur, comme je l'ai dit dans ma chronique, ils désarçonnent en effet au début mais se justifient finalement.<br /> Et comme vous le dites si bien, ce petit effort est vite récompensé par les surprises que nous réserve ce roman étonnant.  <br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Et bien ! Cette chronique et tes échanges avec monsieur Bondil ont piqué ma curiosité. Je ne connais pas cet auteur et je vais me procurer rapidement ce roman.<br /> Merci ami Yan !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> De rien, Richard, c'est un plaisir. Et je te garantis que c'est un excellent roman.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Merci de ce sympathique commentaire, Yann. Christopher est doué pour les nouvelles technologies (contrairement à moi), et je suis très admiratif. Il est vrai que c'est quelqu'un d'extrêmement<br /> organisé, réfléchi, intelligent, qui est capable d'organiser ses pensées, de théoriser et de transmettre oralement avec une logique et une précision remarquables. Et toujours posé.<br /> Si vous souhaitez introduire la traduction dans votre blog, je serai ravi de répondre à vos questions.<br /> Cordialement<br /> Pierre Bondil<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> C'est noté!<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Bonjour, Yan<br /> J'ai passé une excellente journée à Prague en compagnie de Christopher il y a dix jours et, ce matin, je trouve le lien de votre site envoyé par... lui. Je peux vous dire qu'il travaille sur un<br /> roman (dont le début m'a enthousiasmé) et qu'il a achevé une novella intitulée "Storm". De là à espérer une publication aux alentours de 2012-2013, si les éditions Rivages (noir ou littérature)<br /> sont intéressées... je croise les doigts.<br /> Cordialement<br /> pierre bondil<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je suis flatté Pierre, de vous trouver sur mon blog. Je suis justement en train de discuter (dans un anglais approximatif) avec Christopher sur facebook à propos de cela et de notre vision des<br /> personnages de Voleurs. Mes compétences en anglais sont bien limitées, aussi ne puis-je vraiment juger du travail d'un traducteur, mais je pense bien que c'est en grande partie grâce à vous<br /> que je prends plaisir à lire Chrsitopher Cook, Charles Willeford, Ken Bruen ou Thomas Kelly.<br /> <br /> <br /> Cordialement.  <br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Mais dis moi Yan, tu écris et lis plus vite que ton ombre, le Lucky Luke des chroniqueurs, c'est toi ?<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> En fait, c'est truqué. Cela fait plus de quinze ans que je lis des polars et que je me fais des petites fiches. Par contre mon blog n'a pas deux mois. Du coup je jette à nouveau un oeil sur<br /> les livres que j'ai aimé les années précédentes et j'en fais des chroniques qui alimentent le blog. En réalité, je lis beaucoup en période de vacances et moins quand je travaille.<br /> <br /> <br /> <br />