Julius Winsome, de Gerard Donovan

Publié le par Yan

juliuswinsome.jpg« Si je devais en une phrase résumer ma vie jusque-là, je dirais qu’à un certain moment j’ai vécu dans un chalet durant cinquante et un ans ».


Bref, c’est toute sa vie que Julius Winsome a passé dans ce chalet au milieu des bois, dans le nord du Maine, près de la frontière canadienne. D’abord avec ses parents, puis seul, puis avec son chien, Hobbes. Et ses livres. Plus de trois mille volumes hérités de son père qui tapissent les murs de ce chalet. Jusqu’au jour où il retrouve Hobbes agonisant après qu’un chasseur lui a tiré dessus à bout portant. C’est là que tout bascule. Julius veut trouver le coupable. Il sort le fusil de sniper que son grand-père a ramené de la Grande Guerre et part à la chasse aux chasseurs, supputant qu’un complot a été ourdi contre lui depuis plusieurs années. Julius sombre peu à peu dans une folie meurtrière.

Il est vrai que, dit ainsi, on s’attendrait à un thriller relativement classique, une espèce de Rambo du troisième âge (toutes nos excuses à nos lecteurs quinquagénaires, mais cela sonnait mieux que « Rambo de l’âge mûr »). On en est loin. Car Gerard Donovan joue plutôt la carte de l’introspection dans ce récit à la première personne. Il en ressort l’extrême solitude de cet homme tranquille qui, pour ne jamais quitter la quiétude de son chalet familial a sacrifié toute vie sociale jusqu’à ce qu’il fasse deux rencontres : une femme et un chien. Une femme qui l’a abandonné, un chien fidèle mais qui se fait donc tuer. Dans ce coin perdu des États-Unis, aux abords d’une petite ville où tout le monde se connaît plus ou moins et où rien ne semble s’oublier, Julius ressasse, cherche les traces d’un complot et passe du statut d’homme solitaire et tranquille à celui de tueur impitoyable. Lui qui a été élevé dans le respect de toute vie mais aussi dans les récits de guerre de son père et de son grand-père devient un assassin de sang-froid.
Voici donc un roman plutôt original avec quelques jolies trouvailles, en particulier l’utilisation du lexique shakespearien par Julius, qui se lit avec une certaine curiosité et, parfois, fascination. On y trouvera peut-être certaines longueurs, des développements dont on ne perçoit pas forcément le sens et même quelques éléments qui peuvent sembler incohérents (comment cet homme qui n’a quasiment jamais touché un fusil – dans son adolescence qui plus est – peut-il devenir ce tireur à la précision diabolique ?).
Il n’en demeure pas moins que la poésie qu’arrive à y instiller Donovan, l’empathie qu’il réussit à susciter chez le lecteur, donnent une force certaine à son récit. Une curiosité qui vaut le coup d’œil en attendant confirmation de ce talent que l’on découvre là.

Gerard Donovan, Julius Winsome (Julius Winsome, 2006), Le Seuil, 2009. Rééd. Points Roman noir, 2010. Traduit par Georges-Michel Sarotte.

Publié dans Noir américain

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