Miami Blues, de Charles Willeford

Publié le par Yan

miamiblues.jpgAprès une longue rétrospective consacrée à Parker et avant une autre consacrée à Dortmunder, faisons un court détour par la Floride avec Hoke Moseley, héros de Miami Blues, Une seconde chance pour les morts, Dérapages et Ainsi va la mort, de l’immense Charles Willeford.

On commence donc par Miami Blues, qui met pour la première fois en scène Hoke Moseley, sergent de la police de Miami, divorcé, fauché, doté d’un dentier dont il est plutôt fier et vivant dans une chambre miteuse d’un hôtel de Miami Beach peuplé essentiellement de marielitos. C’est que l’on est en 1984 et que Miami n’est pas vraiment la ville glamour que l’on peut imaginer en regardant aujourd’hui un épisode de Dexter. Colombiens et Cubains règlent quotidiennement leurs comptes de manière sanglante et la police ne se montre en général pas très efficace. C’est là que débarque Frederick Fenger, ancien taulard, qui arrive directement de Californie et commence par tuer un Hare Krishna en lui cassant un doigt à l’aéroport dans une scène qui se révèle, à sa manière, dantesque :

« -Je veux être votre ami, dit le Hare Krishna, et…

Freddy s’empara du majeur du Hare Krishna et le retourna brutalement. Le Krishna poussa un petit cri. Freddy força davantage et plia le doigt en arrière, le cassant net. Le Krishna poussa un hurlement, sorte de gargouillement aigu, et s’écroula à genoux. Freddy lâcha le doigt désarticulé, et quand le Krishna se plia en deux, en hurlant, sa perruque tomba, découvrant son crâne rasé.

Deux hommes, qui de toute évidence appartenaient à la même famille qui avaient observé la scène, se mirent à applaudir en riant. Lorsqu’une femme, d’âge mûr qui portait un poncho colombien entendit l’un des touristes dire « Hare Krishna », elle sortit un chasse-Krishna de son sac et commença à faire retentir le bruyant objet en métal devant le visage du Krishna accablé de douleur. L’alter ego du Krishna blessé, vêtu dans le même style mais avec une perruque noire, se détacha de la file d’attente où il « travaillait » devant le comptoir d’Aéromexico et commença à invectiver la femme qui faisait retentir le chasse-Krishna. Le plus âgé des deux hommes qui riaient s’approcha par-derrière, lui arracha sa perruque et la lança par-dessus les têtes des badauds qui s’assemblaient ».

L’esprit du livre de Charles Willeford est en grande partie résumé ici. Un humour cruel, un regard acerbe sur une société dans laquelle il est bien difficile de se faire une place. Ni Martin Wagonner, le Hare Krishna, ni Freddy Fenger, ni Hoke Moseley, n’arrivent à trouver cette place. Pas plus Susan Wagonner, la sœur de Martin, que la hasard va faire croiser Freddy dont elle ignore qu’il a tué son frère, jeune gourde de la campagne, mal dégrossie, qui se prostitue dans les hôtels tout en suivant des cours de gestion à l’université dans l’espoir fou d’ouvrir une franchise de Burger King à Okeechobee.

Le hasard aidant, Hoke va finir par se confronter à Freddy. Et les deux personnages apparaissent comme les deux faces d’une même médaille. Tous les deux aussi perdus et aussi détachés face aux événements. Mais si ce détachement tient chez Hoke du fatalisme, il en va tout autrement de Freddy chez qui cette attitude tient pour beaucoup à ses tendances psychopathes et à un véritable désir de revanche sur la société. À ceci près qu’il est tout de même conscient de l’inéluctabilité de son destin. Cette opposition qui n’en est pas vraiment une, tant Hoke va mettre du temps à saisir qui est Freddy et ce qu’il peut lui vouloir, et plus encore la trajectoire suivie par l’attentiste Susan, révèlent ce que l’on pourrait qualifier de pessimisme faussement joyeux de l’auteur.

Et Willeford de nous proposer un roman noir et poisseux, plus fondé sur l’atmosphère de ce Miami du début des années 80 et sur les étranges personnalités de Hoke Moseley et Freddy Fenger que sur l’intrigue minimale qu’il propose et, en même temps, un livre cynique à souhait qui vous laisse à la fois réjoui et vaguement assommé par ce que vous venez de lire. Un entre-deux, un sentiment de malaise et de plaisir, qui est la marque de Willeford.

Charles Willeford, Miami Blues (Miami Blues, 1984), Rivages/Thriller, 1989. Rééd. Rivages/Noir, 1991. Traduit par Danièle et Pierre Bondil.

Du même auteur sur ce blog : Une seconde chance pour les morts ; Dérapages ; Ainsi va la mort ;

Publié dans Noir américain

Commenter cet article

T
Belle histoire et vraiment intéressante histoire. Je suis originaire de Miami et c'était vraiment formidable de savoir ce genre de l'histoire de la même ville.
Répondre
D
la scène avec les hare-krishna est désopilante et inoubliable,comme une signature
Répondre
Y
<br /> <br /> Oui, c'est en effet un grand moment.<br /> <br /> <br /> <br />